Professeur d’université, écrivain et citoyen du monde, nous avons rencontré pour vous Jean-Louis Cornille. Il enseigne la littérature moderne de langue française à l’université du Cap (University of Cape Town, Afrique du Sud). Il enseigne aussi à l’Université d’Antsiranana, Madagascar et intervient à l’Université de Toamasina , Madagascar. Il est l’auteur d’essais sur Rimbaud, Baudelaire, Céline, Cendrars, Apollinaire, et fut occasionnellement l’un des traducteurs de l’oeuvre de J.M Coetzee. Universitaire et auteur, il a écrit entre autres Nauséographie de Sartre, paru chez L’Harmattan et Bataille conservateur, chez le même éditeur. Son dernier ouvrage, Lémures. Hantologie de la littérature malgache en français, est sorti aux éditions Passages en 2019.
Entre écriture et enseignement, que choisir ? L’un peut-il exister sans l’autre ?
Ecrire… ? J’en ai signé des écrits, toujours dans la ferveur, parfois dans la transe, et suis prêt à recommencer dès qu’une occasion se présente. Enseigner, j’en ai longtemps saigné : ce n’était pas ma vocation. Mais peu à peu, l’enseignement, sans jamais précéder l’écriture, permettait de rectifier le tir, d’arrondir les angles, d’approfondir une idée, d’en mesurer la validité, toujours relative. Il en va de mȇme pour les colloques : le fait de pouvoir tester le matériel immédiatement est assez utile.
Le fait de s’exprimer à partir de ce qu’on venait de coucher par écrit permettait aussi d’en parler avec plus de passion, la chose étant encore fraiche dans la bouche. Mais le but final était moins l’enseignement, le partage d’une chose passée que l’espoir de déboucher sur autre chose, d’inédit ; et voilà que cette activité solitaire, moins celle de la rédaction (qui restait quand mȇme un «travail») que celle de la trouvaille, voire de l’enchainement de trouvailles, pouvait se muer en une expérience à partager.
Comment vous faites pour prioriser vos choix de thématique ? Trouver l’angle ? Choisir le volume définitif d’une oeuvre ?
Je n’en priorise aucun, je reste ouvert à toutes les suggestions du texte, en les tenant toutes pour importantes, aussi menues ou insignifiantes ou négligeables qu’elles puissent paraitre au premier abord. C’est le texte qui nous trouve, en réalité, qui nous surprend, un peu comme une vague… et il faut être prêt à bondir ou à rebondir sur l’une ou l’autre qui vous déferle dessus. La question du volume que cela fera est secondaire. Elle se règle toute seule, comme si le livre était fait déjà d’avance, et qu’il suffisait d’aller à sa rencontre, presque à l’aveuglette. En, dix ou douze pages, on a fait le tour du sujet qu’on s’est donné ; cela fera un chapitre… et après avoir répété ce geste une dizaine de fois, sans trop l’avoir cherché, le livre est fait, selon l’arrivée de contenus qui ne sont pas toujours prévus, mais qui existent déjà …. Je ne fais jamais qu’aller vers le livre qui m’attend, et auquel souvent je ne m’attends pas du tout. Et que je suis d’ailleurs le seul peut-ȇtre à attendre. De fait, les gens ne lisent plus beaucoup, mais ils écrivent… ils écrivent. Je n’ai jamais fait de « carton » avec aucune de mes « couvertures », mais le peu de gens qui ont pu établir le contact avec mes écrits s’en souviennent.
Comment vous percevez la problématique de l’édition ?
Je me suis intéressé de près aux rapports entre auteurs et éditeurs il y a une trentaine d’année déjà. La perception que j’en ai eue, c’est que l’éditeur était moins l’ami des auteurs qu’une force hostile. De nombreux grands écrivains se sont fait publier à compte d’auteur. Au XIXe siècle, l’édition est devenue une grosse machinerie capitaliste, et les auteurs ont fini par développer des stratégies discrètes contre cette toute-puissance, ils se sont révoltés en sourdine ; et si cela se faisait souvent discrètement, il a fallu attendre L.-F. Céline pour voir un auteur célèbre faire front ouvertement, en obligeant Gallimard à publier les insultes qui lui étaient adressées. Fort de cette information, j’ai toujours eu un rapport désengagé face aux éditeurs qui me publiaient.
En parlant d’engagement, de quel bord êtes-vous?
Au départ, au début des années ‘80, mon engagement était purement littéraire, et me poussait à m’intéresser aux écrivains qui dérangent comme Alfred Jarry, Céline ou Rimbaud. Ce n’est que bien plus tard, au XXIe siècle, que je me suis intéressé aux écrivains francophones noirs contemporains, c’est-à-dire vivants. C’était d’abord plutôt pour marquer l’endroit d’où je parlais, c’est-à-dire l’Afrique du Sud. Il faut dire aussi que les textes francophones constituaient une espèce de ghetto jusqu’aux années ‘90, et par rapport à cela, le manifeste de «Littérature-monde» a changé beaucoup la vision. Les grands noms de la critique ne s’occupaient guère de littérature francophone … Et le discours critique était laissé généralement à des universitaires quelque peu dilettantes.
Vous êtes Belge de naissance, Français de carrière, Sud-Africain par choix et Malagasy par essence. L’archétype même d’un peuple du monde ...
Je suis né dans le nord parmi les Flamands, le français pour moi était parlé conjointement au néerlandais. J’évoluais dans une sorte de bilinguisme imparfait, n’étant à l’aise dans aucune des deux langues, entre deux chaises, en somme, et sans table à laquelle me tenir. Je crois que ce genre de malaise linguistique peut très bien vous orienter vers la littérature. Par rapport à la France, mon idée était d’aller à l’encontre de la simple gestion du patrimoine français, tel qu’il se pratiquait à l’époque. J’ai assez vite cherché à profiter de mon « étrangéité » relative par rapport à cette langue majeure dont je n’ai vraiment fréquenté les textes qu’à partir de mes dix-huit ans. Ensuite, au moment du passage en Afrique du Sud, avec une arrivée à Cape Town en plein état d’urgence, et un plongeon brusque dans la langue anglaise, paraissait mon premier livre qui portait sur Rimbaud, où je m’étais intéressé au voyageur africain polyglotte qu’il était, celui qui avait choisi de migrer vers l’Ethiopie à un certain moment, après avoir parcouru l’Europe. L’épisode Madagascar est né dans la suite logique de l’éloignement. Plutôt que l’Antarctique, j’ai choisi Madagascar parce qu’on y parlait français. En est né ce projet de donner plus de visibilité à une littérature qui n’a pas du tout reçu toute l’attention qu’elle mérite, y compris chez soi.
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